Animée par Christophe Batier, la table ronde de clôture a réuni les intervenants pour un échange dense et vivant autour des transformations de l’évaluation à l’ère de l’intelligence artificielle générative. Voici les grandes lignes de cette séquence et quelques verbatims de ces échanges.
Comprendre ce qui change : l’évaluation à l’épreuve de l’IA
L’IA introduit de nouvelles formes de triche, y compris en présentiel, et bouleverse les pratiques traditionnelles d’évaluation.
Les intervenants ont souligné la nécessité de repenser les modalités actuelles, en s’éloignant d’une logique purement certificative pour valoriser davantage l’évaluation formative, dans une logique de progression.
« Même en présentiel, les étudiants ont développé des habiletés de performance incroyables. » (Christophe Batier)
« Pragmatiquement, nos étudiants et étudiantes viennent pour obtenir des notes et leur faire prendre conscience qu’ils viennent pour apprendre est le plus grand défi de l’enseignant ou l’enseignante » (Jeff Van de Poël)
« Soyez clair, qu’est-ce que vous évaluez vraiment ? » Qu’est-ce qui est au centre de votre évaluation ? » […] « Je n’arrive pas à imaginer que des compétences s’évaluent par des QCM. » (Jacques Tardif)
« Nos institutions vont nécessairement, à l’instar des universités australiennes actuellement, se questionner sur leur capacité encore présente de mesurer les compétences qu’elles sont supposées développer et donc la garantie d’un diplôme cohérent. » […] « Si on ne change pas nos méthodes d’évaluation et que l’on reste dans l’expectative devant les IA, on risque d’avoir des problèmes de qualité parce qu’on va pouvoir nous dire ‘attention, beaucoup de vos évaluations ne sont pas adaptées à la présence de l’IA, êtes-vous sûrs que ceux qui sortent de vos institutions ont la compétence ? ». (Jean-François Van de Poël)
Un enjeu évoqué a été celui de repenser les cadres d’évaluation pour mieux aligner les évaluations sur les compétences réellement mobilisées dans un environnement enrichi par l’IA.
Parmi ces cadres pour accompagner la définition des objectifs à atteindre, la taxonomie de Bloom a été débattue : certains la défendent comme un cadre structurant, d’autres la jugent inadaptée aux enjeux actuels. La taxonomie SOLO de Biggs a été évoquée comme alternative.
« Bloom, c’est extrêmement utile parce qu’il a permis l’alignement pédagogique et pour qu’un prof situe le niveau d’exigence cognitive ou le niveau taxonomique qu’il est en train de faire dans un cours. Si vous enseignez quelque chose qui va du niveau compréhension, analyse : “Parfait”… pour définir un référentiel de compétences c’est inutile… » (Jacques Tardif)
« Moi, je trouve ça bien de remettre en question des choses sur lesquelles on travaille depuis des années… La taxonomie de Bloom apporte un cadre, néanmoins on peut aussi remettre en cause ce cadre, il y a d’autres cadres qui permettent de faire le travail. » (Nejma Belkhdim)
Répondre aux défis pédagogiques : nouveaux rôles, nouvelles postures
Le rôle de l’enseignant évolue : de correcteur à accompagnateur, de transmetteur à médiateur.
Dans un contexte où l’IA devient un partenaire d’apprentissage, l’enseignant est appelé à guider l’autorégulation, à créer du sens et à garantir l’intégrité pédagogique.
« Comment aide-t-on l’autorégulation chez les étudiants pour qu’ils puissent savoir à quel moment demander à l’IA et comment le faire […] l’autorégulation, c’est de lui dire, pose-moi la question, qu’est-ce que tu sais, et ensuite, de m’aider à donner des indices. » (Djamileh Aminian)
« Dans la formation d’adulte, parallèle à l’enseignement supérieur, on est vraiment passés dans des réflexions de facilitateurs, médiateurs de contenu et créateurs et créatrices de sens. On en a beaucoup parlé, c’est ça (l’enjeu de la transformation du rôle du prof) : la relation, le partenariat.» (Djamileh Aminian)
« Les étudiants aiment bien les IA parce qu’ils peuvent poser des questions qu’ils n’oseraient pas poser aux profs craignant de se dévaloriser au regard du prof et ce 2’h sur 24. Par contre, le prof, même s’il n’est pas la 24-24, c’est lui qui donne la note. Donc en quelque part, c’est lui qui a l’expertise, c’est lui qui a le vécu, c’est lui qui a le savoir-faire, c’est lui qui a le recul. » (Christophe Batier)
En outre, il est conseillé par un intervenant d’aborder le développement des compétences des étudiants face à l’IA avec une approche programme par diplôme pour limiter les surcharges de travail actuellement ciblées en France par une démultiplication des moments d’évaluations à cause des essais d’adaptation à l’IA.
« Trop souvent dans l’innovation qu’on fait dans nos cours, on n’a pas le temps d’aller voir les collègues dans nos programmes. » […] « Or, les compétences à développer pour l’utilisation de l’IA dans les apprentissages sont transférables à tous les cours, donc prenez l’habitude de penser vos approches de l’IA par les étudiants avec vos collègues d’un même diplôme car les compétences que vous développez seront primordiales, et même pour toute la vie. » (Jean-François Van de Poël)
Les échanges ont aussi mis en lumière l’importance de la co-construction avec les EdTech locales, pour développer des outils adaptés aux réalités pédagogiques et qui permettent de se reconnecter à des pratiques qui font sens.
« Une solution utile, c’est une solution co-construite avec les enseignants. […] On fera tout pour que vous ayez une solution qui réponde bien à vos besoins, et que vous puissiez vous reconnecter à un sentiment de compétence dans la préparation de vos cours, vous facilite la vie et on espère que cela vous procurera du plaisir au quotidien » (Nejma Belkhdim)
« Le choix au niveau de l’Université de Montpellier, c’est de mettre à disposition de tous les personnels dans Moodle (ndlr : l’outil Nolej) […] cette idée de mettre à disposition du plus grand nombre pour pouvoir expérimenter. » (David Cassagne)
Imaginer demain : éthique, plaisir d’apprendre et engagement
La motivation a été un fil rouge de plusieurs interventions, souvent abordée à travers le prisme du plaisir d’apprendre, du sentiment de compétence et de l’engagement des étudiants dans un environnement transformé par l’IA. Les travaux de Roland Viau sur la motivation ont été rappelé, en les reliant aux usages de l’IA :
« Compréhension du sens, contrôlabilité, sentiment de maîtrise : si l’étudiant comprend pourquoi il utilise l’IA, choisit comment, et se sent compétent, il sera engagé. » […] « Le challenge de l’enseignant et l’enseignante de demain sera là dans ce sentiment de maîtrise qui va être fort avec l’IA, mais finalement il va être un peu creux. Si l’étudiant n’est pas capable de faire sans l’IA, ça va poser un problème. » (Jean-François Van de Poël)
L’IA peut en outre aider à développer des compétences métacognitives, à condition d’être bien accompagnée. L’un des enjeux est de permettre aux étudiants de devenir acteurs de leur apprentissage, en utilisant l’IA pour s’auto-évaluer, se corriger, se projeter.
« Si l’étudiant est capable de s’auto-accompagner, ça va nécessiter chez l’étudiant des compétences haut niveau (capacité de prompts, esprit critique, compétences théoriques pour comprendre si le feedback est bon…). Le jour où on arrivera à faire des étudiants qui savent s’auto-accompagner, ça sera magnifique. L’IA peut vraiment aider à ça. Cela nécessite un cadre car ces compétences sont transférables dans tous les cours. » (Jean-François Van de Poël)
Les intervenants ont insisté sur la nécessité d’une transparence partagée autour des usages de l’IA, tant du côté des enseignants que des étudiants.
« On ne peut pas dire “n’utilisez pas ça”. C’est incontournable. » (Jacques Tardif)
« La position au niveau établissement énoncée dans le sixième principe d’usage de l’IA dans la formation, c’est l’intégrité et la transparence aussi bien pour les étudiants que les enseignants. Il n’y a pas lieu de cacher, au contraire, je pense que c’est bénéfique d’être transparent sur ces usages. » (David Cassagne)
Une séquence dense, vivante, à retrouver ici :
https://video.umontpellier.fr/video/23340-table-ronde-et-echanges-ia-et-evaluation/
Retrouvez l’ensemble des interventions de la Journée PédagoNUM 2025 « IA et Evaluation » sur la page dédiée « Retour sur la Journée PédagoNUM »
En complément : les IA prennent la parole
En amont de la table ronde, les intervenants ont mené une expérimentation originale : interroger directement des intelligences artificielles sur une question centrale de la journée…
Comment adapter les évaluations face à l’essor de l’usage de l’IA par les étudiants ?
Ce travail préparatoire, conçu comme un dialogue entre humains et IA, explore plusieurs pistes :
- L’évolution des formes d’évaluation à l’ère des IA génératives ;
- La place de l’enseignant dans un environnement où l’IA devient un partenaire d’apprentissage ;
- Les risques de triche et les stratégies pour y répondre ;
- La nécessité de développer l’esprit critique et l’autorégulation chez les étudiants ;
- Et la question de fond : que veut-on vraiment évaluer ?
Ce contenu n’ayant pas pu être diffusé le jour J, nous vous invitons à le découvrir ici, sous forme d’un carnet audio interactif :
https://notebooklm.google.com/notebook/deb8c43f-14be-452a-8a67-228e9bc3ec34/audio
Pour aller plus loin
Profitez de nos formations et évènements pour envisager de faire évoluer vos pratiques. Retrouvez notre offre d’accompagnement et formations > https://numerique.umontpellier.fr/evenements/