L’intégration des technologies émergentes dans le domaine de l’enseignement a toujours suscité un vif intérêt, à la fois pour ses promesses d’amélioration des pratiques pédagogiques et pour les questionnements éthiques et pratiques qu’elle soulève.
Toutefois, il est possible de constater que cet intérêt a été décuplé depuis fin 2022 avec l’essor fulgurant des Intelligences Artificielles (IA) génératives, comme ChatGPT se basant sur des modèles que l’on appelle Generative Pre-trained Transformer.
Il s’agit de modèles de traitement automatique du langage, capables de « générer » des réponses. L’objectif des traitements automatiques des langues est la conception de logiciels (programmes) capables de traiter de façon automatique des données linguistiques, c’est-à-dire des données exprimées dans une langue (dite « naturelle »). (Fuchs et al., 1993, p.7)
Ces modèles ne répondent plus uniquement par Oui ou par Non. Ces systèmes, pouvant créer du contenu textuel, visuel et interactif, ont ouvert de nouvelles perspectives dans la conception de ressources pédagogiques, la personnalisation de l’apprentissage et l’évaluation des connaissances et des compétences.
Dans ce contexte, une enquête exploratoire a été diffusée au sein de la newsletter PédagoN’UM Actus du mois de juin 2023 afin de déterminer les premières réflexions des équipes pédagogiques de l’Université de Montpellier. Elle a permis de recueillir 19 réponses. Même si le nombre de répondants est limité et s’il ne peut donc pas correspondre à un échantillon représentatif de l’établissement, l’analyse des réponses permet d’offrir des éléments concrets quant aux préoccupations soulevées par l’intégration des IA génératives dans l’enseignement. En examinant comment les enseignants envisagent l’accompagnement des étudiants dans l’utilisation de ces technologies, ainsi que leur propre besoin de formation pour maîtriser ce nouvel outil pédagogique, nous visons à proposer des recommandations pratiques pour une adoption éclairée et responsable de l’intelligence artificielle dans le milieu de l’enseignement.
Le profil des répondants
Provenant de 12 composantes de l’Université, des vacataires (32%), des enseignants-chercheurs (37%), les ingénieurs pédagogiques (11%), les documentalistes, les doctorants et autres profils (20%), nous ont partagé leurs pratiques et avis sur la question des usages des intelligences artificielles génératives.
Les intelligences artificielles génératives utilisées par les répondants
La réponse “ChatGPT” est la plus fréquente, 55% des répondants l’utilisent. Cependant, nous constatons que les répondants utilisent une variété d’IA génératives différentes, notamment Dall-E (9%) et Midjourney (18%). Cela montre que les répondants explorent et utilisent diverses options disponibles sur le marché. Seulement quatre répondants ont indiqué qu’ils n’utilisaient aucune IA générative.
Nous observons que quelques répondants ont mentionné l’utilisation de plusieurs IA génératives simultanées. Ainsi, les combinaisons mentionnées, comme “ChatGPT ; Dall-E ; Midjourney” et “ChatGPT ; Midjourney ; Bard”, montrent une volonté d’exploiter les forces de différentes IA pour des tâches variées et pour répondre à des besoins pédagogiques diversifiés.
Impact des IA génératives sur les évaluations
Nous notons qu’une majorité des répondants (79%) pense que ChatGPT et les IA d’une manière générale, auront un impact sur leurs évaluations.
Pourtant, seulement 21% les ont utilisées pour l’instant pour construire une évaluation. Les IA génératives étaient sollicitées pour construire une grille d’évaluation, un QCM, pour reformuler des questions, pour construire un problème dans le cadre de l’approche par projets ou encore la génération des sujets de TD ou de TP.
Cependant, la majorité des répondants (12 sur 19) n’ a pas recours à l’IA pour créer des évaluations ou des ressources pédagogiques. Cela suggère que l’utilisation d’IA dans ce contexte est encore relativement limitée. Il serait intéressant d’identifier les facteurs qui expliquent la faible utilisation actuelle des IA Dans un premier temps, on pourrait considérer les raisons évoquées par Sunny Avry (2023), à savoir, le manque de temps, d’intérêt ou besoin, ainsi que des préoccupations concernant le partage de données personnelles. Pour accompagner au mieux les enseignants, éventuellement une sensibilisation pourrait être proposée et des formations pour soutenir les enseignants dans l’exploration des possibilités offertes par les IA dans la conception de matériaux pédagogiques.
Côté étudiants, la majorité des répondants (74%) constate un usage des IA par les étudiants. Parmi ceux détectés, on trouve la rédaction des lettres de motivation lors des candidatures, rédaction de devoirs maison, la programmation, l’aide à la rédaction au mémoire, mais aussi lors des TP / TD pour approfondir des sujets ou encore comme aide au développement de logiciels.
L’utilisation des IA suscite une crainte pour les répondants ?
La réponse “oui et non, mon avis est mitigé”, est donnée par 42% des répondants. Ils ne savent pas encore bien mesurer l’impact que peuvent avoir les IA au niveau de l’enseignement. Voici quelques verbatims qui expriment ces sentiments ambivalents :
Il est difficile pour l'instant de percevoir l'ensemble des impacts potentiels
C’est à la fois un gain de temps pour certaines tâches pédagogiques et une perte de temps dans l’évaluation
42 % des répondants font confiance aux avantages potentiels des IA et n’expriment aucune crainte, ils les considèrent même comme un outil qui peut faciliter les apprentissages des étudiants :
IA permet-elle aux apprenants la compréhension des contenus
Encadrée, formidable outil pédagogique et didactique
Cependant, et comme le souligne Farazouli et al (2023), d’autres enquêtes sont nécessaires pour mesurer l’impact positif des IA dans l’enseignement supérieur.
En revanche, 16% des répondants expriment une crainte envers l’utilisation des IA. Au-delà des préoccupations concernant la triche, les risques de mauvaise utilisation sont relevés. Ce pourcentage est plus élevé que le pourcentage donné dans l’enquête menée par EDUCASE (2023), dans laquelle seulement 11 % ont un avis négatif ou très négatif.
Risque de mauvaise utilisation. IA générative n'est pas un moteur de recherche et ne dit pas LA vérité
Pour contourner la triche, les enseignants réfléchissent à proposer des évaluations plus réflexives, des sujets d’un plus haut niveau technique ou encore proposer des évaluations qui demandent davantage une analyse critique et une pensée complexe.
Accompagnement ou formations pour les étudiants et les enseignants ?
Presque 90% des répondants pensent qu’il faut accompagner les étudiants dans l’usage des IA génératives.
Plusieurs options semblent intéresser les répondants, sachant que les répondants ont pu cocher plusieurs cases, l’option d’intégrer « l’accompagnement dans les séances d’enseignements existantes » avec 35%, suivie avec 31% par l’option « cours dédiés » et 25% trouve l’idée de proposer des cours en ligne mutualisés intéressante.
Les enseignants souhaitent un accompagnement ou une formation pour les étudiants, mais également pour eux. 84% seraient intéressés par une formation « Découverte des usages des intelligences artificielles génératives ». Il y a aussi des demandes qui concernent la découverte des nouveaux outils d’IA et des retours d’expérience d’usage, savoir faire des prompts de manière experte ou encore créer une ressource pédagogique avec IA, comment lier l’IA à la pédagogie et non pas l’exclure.
Malgré le nombre limité de réponses, quelques pistes se dessinent à partir de cette enquête. La demande de formation et d’accompagnement, pour les étudiants mais aussi pour les enseignants est très forte. La question de l’impact des IA génératives sur les évaluations est également posée et des stratégies sont déjà mises en place par quelques enseignants. Une des stratégies pourrait être de proposer des évaluations faisant appel à un niveau cognitif plus élevé (Anderson &Krathwohl 2001).
Par ailleurs, ces résultats vont dans le même sens que ceux d’enquêtes et articles de recherche plus poussés sur l’utilisation des IA génératives par des enseignants [1-3].
Dans ce contexte et afin de répondre aux attentes de formations, le SUN a proposé un premier webinaire, lundi 2 octobre, – atelier expert concernant un « retour d’expériences de l’intégration des IA génératives dans l’enseignement supérieur » avec Alain Goudey (le replay est disponible, voir lien ci-dessous). D’autres formations ou webinaires concernant l’utilisation des IA génératives vont suivre.
Sur le même sujet
Revoir le replay de l’atelier expert : Retour d’expériences de l’intégration des IA générative dans l’enseignement supérieur.
Bibliographie
Anderson, L. W., Krathwohl, D. R., & Bloom, B. S. (2001). A taxonomy for learning, teaching, and assessing: A revision of Bloom’s taxonomy of educational objectives: Allyn & Bacon.
[1] ChatGPT bouscule l’éducation: qu’en pensent les enseignant-es?
https://actu.epfl.ch/news/chatgpt-bouscule-l-education-qu-en-pensent-les-ens/
[2] EDUCAUSE QuickPoll Results: Adopting and Adapting to Generative AI in Higher Ed Tech
Mark McCormack, April 17, 2023, EDUCAUSE Research Notes
https://er.educause.edu/articles/2023/4/educause-quickpoll-results-adopting-and-adapting-to-generative-ai-in-higher-ed-tech
[3] Hello GPT! Goodbye home examination? An exploratory study of AI chatbots impact on university teachers’ assessment practices
Alexandra Farazouli, Teresa Cerratto-Pargman, Klara Bolander-Laksov & Cormac McGrath, Assessment & Evaluation in Higher Education (2023)
https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/02602938.2023.2241676